Chapître 37 : le don des langues (page 236-240) :
Le don des langues est souvent mentionné par les privilèges (ou signes caractéristiques) des véritables Rose-Croix.
Cette notion doit être interprétée dans un sens symbolique qui s’accorde avec les données initiatiques communes à toutes les traditions, d’Orient comme d’Occident.
A ce point de vue, celui qui possède le don des langues est celui qui parle à chacun son propre langage, en ce sens qu’il s’exprime toujours sous une forme appropriée aux façons de penser des hommes auxquels il s’adresse.
C’est aussi ce à quoi on fait allusion quand on dit que les Rose-Croix devaient adopter le costume et les habitudes des pays où ils se trouvaient. Ils devaient même prendre un nouveau nom chaque fois qu’ils changeaient de pays, comme s’ils revêtaient alors une individualité nouvelle.
Le Rose-Croix n’était donc lié exclusivement à aucune forme définie ni aux conditions spéciales d’un lieu déterminé ni à une époque particulière (cf notion de longévité) et c’est pourquoi il était un Cosmopolite au vrai sens du mot.
C’est aussi vrai dans l’ésotérisme islamique : Ibn Arabi dit que le vrai sage ne se lie à aucune croyance parce qu’il est au-delà de toutes les croyances particulières, ayant obtenu la connaissance de ce qui est leur principe commun.
Et c’est pour cela qu’il peut, suivant les circonstances, parler le langage propre à chaque croyance.
C’est la conséquence nécessaire d’une connaissance supérieure à toutes les formes mais qui ne peut se communiquer (dans la mesure où elle est communicable) qu’à travers des formes dont chacune ne saurait convenir indistinctement à tous les hommes.
C’est un peu comme la traduction d’une même pensée en des langues diverses. Elle devient ainsi accessible à des hommes qui, sans cela, n’auraient pu la connaître.
On retrouve alors le symbolisme du « don des langues ».
Celui qui en est arrivé à ce point a atteint par une connaissance directe et profonde (et non théorique ou verbale) le fond identique de toutes les doctrines traditionnelles et a trouvé, en se plaçant au point central dont elles sont émanées, la vérité une qui s’y cache sous la diversité et la multiplicité des formes extérieures.
Seules la forme et l’apparence font croire à la différence mais le fond essentiel est partout et toujours le même parce qu’il n’y a qu’une vérité bien qu’elle ait des aspects multiples suivant les points de vue spéciaux sous lesquels on l’envisage.
Comme disent les çufis, la doctrine de l’Unité est unique ; mais il faut une variété de formes pour s’adapter aux conditions mentales de tel ou tel pays, de telle ou telle époque.
Ceux qui s’arrêtent à la forme voient surtout les différences au point de les prendre pour des oppositions tandis qu’elles disparaissent pour ceux qui vont au-delà.
Ceux-ci peuvent ensuite redescendre dans la forme, sans en être aucunement affectés. Ils peuvent réaliser, en procédant de haut en bas, de l’intérieur vers l’extérieur, toutes les adaptations de la doctrine fondamentale.
C’est ainsi que, n’étant plus astreints à parler une langue déterminée, ils peuvent les parler toutes parce qu’ils ont pris connaissance du principe même dont toutes les langues dérivent par adaptation.
Ce que nous appelons ici les langues, ce sont toutes les formes traditionnelles, religieuses ou autres, qui ne sont que des adaptations de la grande Tradition primordiale et universelle, des vêtements divers de l’unique vérité.
Ceux qui ont dépassé toutes les formes particulières et sont parvenus à l’universalité, et qui savent ainsi ce que les autres ne font que croire, sont nécessairement orthodoxes au regard de toutes tradition régulière ; et en même temps ils sont les seuls qui puissent se dire pleinement et effectivement catholiques au sens étymologique de ce mot.
Quant aux autres, ils ne peuvent l’être qu virtuellement par une sorte d’aspiration qui n’a pas encore réalisé son objet, ou de mouvement qui, tout en étant dirigé vers le centre, n’est pas parvenu à l’atteindre réellement.
Ceux qui sont passés au-delà de la forme sont libérés des limitations inhérentes à la condition individuelle de l’humanité ordinaire.
Ceux qui ne sont parvenus qu’au centre de l’état humain, sans avoir encore réalisé effectivement les états supérieurs, sont au moins affranchis des limitations par lesquelles l’homme déchu de cet état primordial dans lequel ils sont réintégrés est lié à une individualité particulière comme à une forme déterminée, puisque toutes les individualités et toutes les formes du domaine humain ont leur principe immédiat au point même où ils sont placés.
Ils peuvent ainsi revêtir des individualités diverses pour s’adapter à toutes les circonstances. Ces individualités n’ont pas plus d’importance que de simples vêtements et c’est aussi la signification du changement de nom : partout où cette pratique se rencontre, elle représente un changement d’état d’un ordre plus ou moins profond.
C’est vrai aussi dans les ordres monastiques pour la même raison : Là aussi l’individualité profane doit disparaître pour faire place à un être nouveau.
On comprend pourquoi les vrais Rose-Croix n’ont jamais constitué une société ni même une organisation extérieure quelconque.
Mais ils ont sans doute pu (comme aujourd’hui en Extrême-Orient des initiés de rang comparable) inspirer plus ou moins directement, invisiblement des organisations extérieures formées temporairement dans un but spécial et défini.
Ces initiés ne se liaient point aux organisations rosi-cruciennes qu’ils avaient formées et, sauf en quelques cas exceptionnels, n’y jouaient aucun rôle apparent.
Ceux que l’on a appelé les Rose-Croix en Occident à partir du XIVème siècle (connus aussi sous d’autres noms) n’ont jamais formé une association quelconque, mais une collectivité d’êtres parvenus à un état supérieur à celui de l’humanité ordinaire, à un degré d’initiation effective, et possédant aussi les mêmes caractères intérieurs suffisant pour qu’ils se reconnaissent sans avoir besoin d’aucun signe extérieur.
C’est aussi pourquoi leur lieu de réunion est le Temple du Saint Esprit qui est partout et dont les descriptions sont toujours symboliques.
Ils demeurent inconnus des profanes parmi lesquels ils vivent, extérieurement semblables à eux, mais entièrement différents d’eux en réalité parce que leurs signes distinctifs sont purement intérieurs et ne peuvent être perçus que par ceux qui ont atteint le même développement spirituel de sorte que leur influence s’exerce par des voies qui sont totalement incompréhensibles au commun des hommes.