Chapître 43 : sur la notion de l’élite (pages 272 – 276)
Le mot élite désigne quelque chose qui n’existe plus dans l’état actuel du monde occidental et dont la reconstitution nous apparaît comme la condition première et essentielle d’un redressement intellectuel et d’une restauration traditionnelle.
De ce mot, on abuse aujourd’hui en le déformant jusqu’à la caricature et à la parodie.
Or, ce n’est pas parce que des profanes s’emparent d’un symbole qu’ils sont incapable de comprendre, et le détournent de son sens jusqu’à en faire une application illégitime, que ce symbole cesse d’être en lui-même ce qu’il est véritablement.
Nous n’éviterons donc pas l’emploi d’un mot parce qu’on en abuse sinon, dans le désordre du langage actuel, il ne resterait plus aucun terme à notre disposition.
Les choses ne cessant de se dégrader, on n’a jamais autant parlé d’élite depuis qu’elle n’existe plus.
Ce que l’on désigne ainsi n’est pas l’élite prise dans son vrai sens. On va même jusqu’à parler des élites, terme dans lequel on comprend tous les individus qui dépassent tant soit peu la moyenne dans un ordre d’activité quelconque, fût il le plus inférieur et le plus éloigné de toute intellectualité
On parle même d’un élite sportive, ce qui est le dernier degré de dégénérescence qu’on puisse faire subir à ce mot.
Le pluriel est d’ailleurs un véritable non-sens car, même dans le monde profane, le sens de ce mot est celui d’un superlatif et implique l’idée de quelque chose qui, par sa nature même, n’est pas susceptible de se fragmenter et de subdiviser.
L’élite intellectuelle :
Ce mot est un pléonasme car il n’est pas concevable que l’élite puisse être autre chose qu’intellectuelle, ou si l’on préfère spirituelle, ces deux mots étant équivalents, dès lors que nous nos refusons à confondre l’intellectualité vraie avec la rationalité.
Car la distinction qui détermine l’élite ne peut s’opérer que par en haut sous le rapport des possibilités les plus élevées de l’être. N’oublions pas que le mot élite est dérivé du mot élu.
Cela n’a d’ailleurs rien à voir avec la conception profane d’une élection procédant du suffrage universel, et donc opérée par en bas et prétendant faire dériver le supérieur de l’inférieur, contrairement à toute notion de vraie hiérarchie.
On doit aussi dépasser le sens religieux et exotérique qui parle souvent des élus bien que ce sens puisse donner davantage lieu à une transposition analogique appropriée.
Mais il y a plus, dont on peut trouver une indication dans la parole évangélique bien connue et insuffisamment comprise : "multi vocati, electi pauci".
L’élite, telle que nous l’entendons, représente l’ensemble de ceux qui possèdent les qualifications requises pour l’initiation.
Ils sont naturellement toujours une minorité.
En un sens, tous les humains sont appelés en raison de la situation centrale qu’occupe l’être humain dans cet état d’existence parmi tous les autres êtres qui s’y trouvent également, et cela est aussi vrai du monde corporel que des modalités subtiles qui appartiennent au même domaine d’existence individuelle.
Mais il y a peu d’élus et, dans les conditions de l’époque actuelle, il y en a moins que jamais et il y en aura de moins en moins jusqu’à ce que le nombre des élus soit complété à la fin du cycle.
Ceci dit, le nombre importe peu car, même si le nombre de ceux qui sont qualifiés est faible, dans tout ce qui se rapporte à l’élite, il faut envisager la qualité et non la quantité. Par ailleurs, l’élite en question reste virtuelle. Ce n’est qu’une possibilité et, pour que celle-ci soit effectivement constituée, il faut avant tout que les élus prennent conscience de leur qualification.
Rappelons aussi que les qualifications initiatiques ne sont pas toutes d’ordre exclusivement intellectuel mais comportent aussi la considération des autres éléments constitutifs de l’être humain.
Cela ne change d’ailleurs rien à la définition de l’élite puisque, quelles que soient les qualifications en elles-mêmes, c’est toujours en vue d’une réalisation essentiellement intellectuelle (spirituelle) qu’elles doivent être envisagées, et c’est en cela que réside en définitive leur unique raison d’être.
Normalement, tous ceux qui sont ainsi qualifiés devraient avoir, par là même, la possibilité d’obtenir l’initiation.
S’il n’en est pas ainsi, cela tient à l’état présent du monde occidental marqué à la fois par la disparition de l’élite consciente d’elle-même et l’absence d’organisations initiatiques adéquates pour la recevoir.
Des organisations initiatiques (des vraies, non des vestiges dégénérés de ce qui fut autrefois) ne pourraient se reformer que si elles trouvaient des éléments possédant l’aptitude initiale et les dispositions effectives déterminées par la conscience de cette aptitude, car c’est à eux qu’il appartient avant tout d’aspirer à l’initiation.
Ce serait renverser les rapports que de penser que l’initiation doit venir à eux indépendamment de cette aspiration, qui est comme une première manifestation de l’attitude essentiellement active exigée par tout ce qui est d’ordre véritablement initiatique.
C’est pourquoi la reconstitution de l’élite consciente de ses possibilités initiatiques (latentes car elles ne peuvent être développées tant qu’un rattachement traditionnel régulier n’est pas obtenu) est ici la condition première dont dépend tout le reste.
C’est pareil que pour les matériaux indispensables à la construction d’un édifice dont la présence est indispensable bien que ces matériaux ne puissent remplir leur destination que lorsqu’ils auront trouvé leur place dans l’édifice lui-même.
Même si l’on suppose une véritable initiation (rattachée à une chaîne traditionnelle) réellement obtenue par ceux qui appartiennent à l’élite, il faudra encore considérer pour chacun d’eux la possibilité d’aller plus ou moins loin, c'est-à-dire d’abord de passer de l’initiation virtuelle à l’initiation effective puis d’atteindre dans celle-ci la possession de tel degré plus ou moins élevé, suivant l’étendue de ses propres possibilités particulières.
Pour le passage d’un degré à l’autre, il faut distinguer une élite à l’intérieur de l’élite même et l’on a même pu parler de l’élite de l’élite.
On peut donc parler d’élections successives de plus en plus restreintes quant au nombre des individus qu’elles concernent, correspondant aux différents degrés de la hiérarchie initiatique (cf les grades d’élus de la hiérarchie maçonnique).
De proche en proche, on peut atteindre l’élection suprême, qui se réfère à l’adeptat, accomplissement du but ultime de toute initiation. Par conséquent, l’élu, au sens le plus complet, qu’on pourrait appeler l’élu parfait, sera celui qui parviendra finalement à la réalisation de l’Identité Suprême.
Dans la tradition islamique, El-Mustafâ, l’Elu, est un des noms du Prophète. Employé par excellence, ce mot se rapporte à l’Homme Universel.