Chapitre 2 : Métaphysique et dialectique (page 19-29) :
Guénon réagit à un article de Massimo Scaligero sous le titre Esoterismo moderno : l’opera et il pensiero di René Guénon (traduction : « Esotérisme moderne : l’œuvre et la pensée de René Guénon ») car l’auteur dénie tout caractère de transcendance à la métaphysique et à l’intellectualité pure, ce qui implique la confusion vulgaire de l’intellect avec la raison.
Guénon réaffirme l’absence de toute différence entre la connaissance intellectuelle pure et transcendante (qui n’a rien de mental ou d’humain, au contraire de la connaissance rationnelle) ou la connaissance métaphysique effective (en non pas théorique) et la réalisation initiatique, non plus qu’entre l’intellectualité pure et la véritable spiritualité.
Parler de la « pensée » de Guénon est stupide car c’est quelque chose qui doit être tenu pour inexistant puisqu’il se contente d’exposer les données traditionnelles. Seule l’expression est de lui.
En outre, il ne peut y avoir de « pensée » dans quelque chose qui a une origine supra individuelle et non humaine.
Guénon ajoute qu’il ne peut avoir « rejoint mentalement » l’idée de l’Infini car cette idée ne peut être saisie que d’une façon directe par une intuition immédiate qui appartient au domaine de l’intellectualité pure.
Tout le reste n’est que moyens destinés à préparer à cette intuition ceux qui en sont capables.
Aucun résultat effectif ne peut être obtenu à travers ces moyens.
Il en est de même de celui qui raisonne sur ce qu’on appelle les « preuves de l’existence de Dieu » et qui ne parviendra pas ainsi à une connaissance effective de la Divinité.
En fait, les concepts en eux-mêmes, et surtout les abstractions, n’intéressent ni Guénon ni ceux qui se placent d’un point de vue strictement traditionnel.
Et il abandonne ces élaborations mentales aux philosophes et autres penseurs dont le type est Descartes qui ne peut aboutir qu’au rationalisme puisqu’il est incapable de dépasser l’exercice des facultés purement individuelles et humaines et ignore par conséquent que celles-ci ne permettent pas d’atteindre tout ce qui appartient au domaine métaphysique et transcendant : il ne peut donc être qu’agnostique.
Mais quand on expose des choses d’un tout autre ordre dans une langue occidentale, on est obligé d’employer des mots qui n’expriment que de simples concepts puisqu’on n’en a pas d’autre à sa disposition.
A moins de restituer leur sens premier aux mots qui ont tout d’abord appartenu à une terminologie traditionnelle.
Guénon explique que son exposé est rigoureusement impersonnel et se réfère entièrement à des vérités d’ordre traditionnel.
En ce qui concerne la dialectique ésotériste, elle n’a de sens qu’en tant que « dialectique mise au service de l’ésotérisme » comme moyen extérieur utilisé pour communiquer ce qui est susceptible d’être exprimé verbalement et toujours en se rappelant que cette expression est forcément inadéquate, surtout dans l’ordre métaphysique car elle est formulée en termes humains.
La dialectique (au sens original platonicien ou aristotélicien, et non hégélien) n’est rien d’autre que la mise en œuvre ou l’application pratique de la logique.
Or, lorsqu’on veut dire quelque chose, on doit se conformer aux lois de la logique mais cela ne signifie pas que les vérités qu’on exprime sont sous la dépendance de ces lois. (exemple du dessinateur qui, obligé de tracer l’image d’un objet à trois dimensions sur une surface qui n’en a que deux, n’ignore pas l’existence de la troisième).
La logique domine réellement tout ce qui est du ressort de la raison mais tout ce qui d’ordre supra individuel et supra rationnel lui échappe car le supérieur ne saurait être soumis à l’inférieur. La logique n’est donc qu’une sorte de descente au niveau individuel, faute de laquelle ces vérités demeureraient totalement incommunicables.
Certains se refusent à envisager que les limites de l’individualité puissent être dépassées et que la réalisation se borne à une sorte d’exaltation de l’individu à la recherche d’une « source première » qu’il prétendrait retrouver en lui-même.
Mais cela est une impossibilité pour l’individu comme tel car il ne peut évidemment se dépasser par ses propres moyens et, de plus, si la source première était d’ordre individuel, elle serait encore quelque chose de bien relatif.
Si l’être qui est un individu humain dans un certain état de manifestation n’était véritablement que cela, il n’y aurait pour lui aucun moyen de sortir des conditions de cet état et tant qu’il n’en est pas encore sorti effectivement, il reste un individu selon les apparences et tout ce qui est nécessaire pour lui permettre de les dépasser ne peut se présenter à lui que comme extérieur.
Il n’est en effet pas encore arrivé au stade où une distinction comme celle de l’intérieur et de l’extérieur cesse d’être valable.
L’homme moderne perçoit généralement l’initiation comme un corpus doctrinal et rituel extérieur, et non comme un courant de vie suprahumaine où il doit se plonger pour revivre.
Il commet l’erreur de séparer le transcendant du monde des sens qu’il perçoit comme privé du Divin.
Il faut donc, pour réparer cette erreur, retrouver une forme d’initiation qui précède l’époque dans laquelle elle est survenue.
Cette erreur est totalement disqualifiante pour parvenir à l’initiation effective.
Heureusement qu’il y a dans le monde moderne des hommes qui par leur constitution intérieure ne sont pas des hommes modernes et sont donc capables de comprendre ce qu’est essentiellement la tradition.
Attention de ne pas croire que l’homme actuel s’est « libéré » de l’aide de la tradition initiatique, des mythes et des symboles en croyant avoir atteint un échelon élevé de connaissance.
C’est tout le contraire. Si l’homme a atteint un échelon ultime, c’est bien plutôt dans le sens descendant qu’ascendant.
Aujourd’hui, on entend toujours «conquête de la liberté » et autonomie dans un sens purement individualiste en oubliant que la véritable libération n’est possible que par l’affranchissement des limites inhérentes à la condition individuelle.
Et quelle erreur que de vouloir refuser l’aide extérieure de la transmission initiatique régulière ! La vérité est que en dehors de tout rattachement à une organisation traditionnelle, il n’y a pas d’initiation et que, sans initiation préalable, aucune réalisation métaphysique n’est possible.