Chapître 16 : Le rite et le symbole (page 115 -119) :
Eléments essentiels de toute initiation, rite et symbole sont étroitement liés par leur nature même car tout rite comporte un sens symbolique dans tous ses éléments constitutifs et tout symbole produit des effets comparables à ceux des rites pour qui le médite avec les aptitudes et les dispositions requises à condition qu’il ait reçu la transmission initiatique régulière.
Quand il s’agit de rites et de symboles véritablement traditionnels, leur origine est pareillement non humaine.
L’impossibilité de leur assigner un inventeur n’est pas due à l’ignorance (supposition des historiens qui vont même jusqu’à y voir le produit d’une sorte de « conscience collective », incapable de donner naissance à quelque chose de transcendant).
Elle est une conséquence nécessaire de cette origine même qui ne peut être contestée que par ceux qui méconnaissent la vraie nature de la Tradition (dont les rites et les symboles sont partie intégrante).
Identité foncière du rite et du symbole : Entendu comme figuration graphique, le symbole n’est que la fixation d’un geste rituel. Le tracé même du symbole doit s’effectuer régulièrement dans des conditions qui lui confèrent tous les caractères d’un rite proprement dit. Quelques exemples :
- dans un domaine inférieur, celui de la magie (qui est malgré tout une science traditionnelle), la confection des figures talismaniques.
- dans la tradition hindoue, celui des yantras.
- dans la tradition maçonnique, le tracé du tableau de loge (tracing board) était un véritable yantra.
Mais il faut aller au-delà de symboles figurés ou visuels et s’intéresser aux symboles sonores. Cette distinction est dans la doctrine hindoue celle du yantra et du mantra. Ceux-ci caractérisent deux sortes de rites qui, à l’origine, se rapportaient aux traditions des peuples sédentaires (pour les symboles visuels) et à celles des peuples nomades (pour les symboles sonores). La séparation entre les uns et les autres n’est d’ailleurs pas absolue : on ne peut parler que de prédominance ; toutes les combinaisons sont ici possibles, du fait des adaptations multiples qui se sont produites au cours des âges et par lesquelles ont été constituées les diverses formes traditionnelles qui nous sont actuellement connues.
Tout cela montre bien les liens qui existent entre les rites et les symboles mais, dans le cas des mantras, ce lien est plus immédiatement apparent.
En effet, si le symbole visuel, une fois tracé, demeure (ou peut demeurer) à l’état permanent (d’où le terme de « geste fixé »), le symbole sonore n’est manifesté que dans l’accomplissement même du rite, quoique cette différence soit atténuée lorsqu’une correspondance est établie entre symboles sonores et symboles visuels. C’est ainsi avec l’écriture qui représente une véritable fixation du son (non pas du son lui-même comme tel, mais d’une possibilité permanente de la reproduire).
Toute écriture, quant à ses origines, est une figuration essentiellement symbolique. C’est aussi vrai de la parole elle-même à laquelle ce caractère symbolique est non moins inhérent par sa nature propre.
Le mot, quel qu’il soit, ne saurait être rien d’autre qu’un symbole de l’idée qu’il est destiné à exprimer. Ainsi, tout langage est véritablement un ensemble de symboles et c’est pourquoi il ne peut être une création plus ou moins artificielle de l’homme, ni un simple produit de ses facultés d’ordre individuel. La distinction entre langues sacrées et langues profanes ne peut être que secondaire car ce caractère profane n’est que le résultat d’une véritable dégénérescence, comme pour les sciences et les arts, mais plus précoce et plus aisée à cause de l’usage plus courant et plus généralisé des langues.
Certains symboles visuels sont comparables aux symboles sonores en ce qu’ils ne sont pas tracés de façon permanente, mais seulement employés comme signes dans les rites initiatiques (notamment les « signes de reconnaissance », et c’est encore plus vrai des « mots », d’usage similaire) et mêmes religieux (exemple du « signe de croix », véritable « signe de reconnaissance » des débuts du christianisme). Ici, le symbole ne fait réellement qu’un avec le geste rituel lui-même.
Intermédiaire entre le symbole permanent et le symbole non-permanent est celui des figures symboliques qui, tracées au début d’un rite ou dans sa préparation, sont effacées aussitôt après son accomplissement : c’est le cas de beaucoup de yantras, c’est aussi celui du tableau de loge maçonnique. Cette pratique dépasse largement les précautions prises contre la curiosité profane (trop simpliste et superficielle) ; c’est surtout une conséquence du lien qui unit intimement le symbole au rite, de telle sorte que celui-là n’aurait aucune raison de subsister visiblement en dehors de celui-ci.
Par leur instantanéité, ces signes de la catégorie des symboles visuels sont ceux qui présentent la plus grande similitude avec la catégorie des symboles sonores.
Rappelons que le symbole « graphique » est toujours un geste ou un mouvement fixé (signe de reconnaissance des Pythagoriciens, pentagramme tracé d’un seul trait).
Pour les symboles sonores, le mouvement des organes vocaux nécessaire à leur production constitue un geste au même titre que toutes les autres sortes de mouvements corporels. Ainsi, dans son acception la plus étendue, cette notion de geste ramène tous ces cas différents à l’unité où ils ont leur principe commun.
Ainsi, tout rite est littéralement constitué par un ensemble de symboles car ceux-ci ne comprennent pas seulement les objets employés ou les figures représentées mais aussi les gestes effectués et les paroles prononcées, c'est-à-dire en fait tous les éléments du rite sans exception. Ces éléments ont valeur de symboles par leur nature même. Les rites sont des symboles « mis en action », tout geste rituel est un symbole « agi » (cf gestes que la tradition hindoue appelle mudrâs ou les attouchements employés comme moyens de reconnaissance et qui ne sont qu’un cas particulier des mudrâs).
Le rite met simplement en évidence quelque chose qui s’accomplit forcément dans le temps ( karma = ici action rituelle) tandis que le symbole peut être envisagé d’un point de vue « intemporel ». Le symbole a donc une certaine prééminence par rapport au rite mais rite et symbole ne sont au fond que deux aspects d’une même réalité : celle-ci n’est autre que la correspondance qui relie entre eux tous les degrés de l’Existence universelle, de telle sorte que, par elle, notre état humain peut être mis en communication avec les états supérieurs de l’être.