Chapître 26 : De la mort initiatique (page 178 -181) :
Si l’on emploie l’expression de mort fictive, cela prouve que l’on ne comprend pas les réalités d’ordre initiatique. C’est une vision toute extérieure du rite qui ignore les effets qu’il doit produire sur ceux qui sont vraiment qualifiés.
Car la mort initiatique est plus réelle que la mort entendue au sens ordinaire du mot : En effet, deux constatations s’imposent :
- le profane qui meurt ne devient pas initié pour autant ;
- toutes les traditions insistent sur la différence essentielle qui existe dans les états posthumes de l’être humain selon qu’il s’agit du profane ou de l’initié car seule la distinction entre l’ordre profane et l’ordre initiatique dépasse les contingences inhérentes aux états particuliers de l’être et a par conséquent une valeur profonde et permanente au point de vue universel.
Si les conséquences de la mort, prise dans son acception habituelle, sont ainsi conditionnées par cette distinction, c’est que le changement qui donne accès à l’ordre initiatique correspond à un degré supérieur de réalité.
Prenons le mot mort dans son sens le plus général : tout changement d’état est à la fois une mort et une naissance, mort par rapport à l’état antécédent, naissance par rapport à l’état conséquent.
L’initiation est généralement décrite comme une seconde naissance qui implique la mort au monde profane et la suit immédiatement puisque ce sont les deux faces d’un même changement d’état.
Quant au symbolisme du rite, il sera naturellement basé sur l’analogie qui existe entre tous les changements d’état. Pour cette raison, la mort et la naissance au sens ordinaire symbolisent elles-mêmes la mort et la naissance initiatiques, les images qui leur sont empruntées étant transposées par le rite dans un autre ordre de réalité.
Tout changement d’état s’accomplit dans les ténèbres (d’où le symbolisme de la couleur noire, et la correspondance stricte entre les phases de l’initiation et celles du Grand Œuvre hermétique) : le candidat à l’initiation doit passer dans l’obscurité complète avant d’accéder à la vraie lumière. Dans cette phase d’obscurité s’effectue la descente aux enfers : c’est une sorte de récapitulation des états antécédents, par laquelle les possibilités se rapportant à l’état profane seront définitivement épuisées afin que l’être puisse développer librement les possibilités d’ordre supérieur qu’il porte en lui et dont la réalisation appartient au domaine initiatique.
Des considérations similaires étant applicables à tout changement d’état, les degrés ultérieurs et successifs de l’initiation correspondent aussi à des changements d’état et il y aura pour l’accession à chacun d’eux mort et naissance, bien que la « coupure » soit moins nette et d’une importance moins fondamentale que pour l’initiation première, passage de l’ordre profane à l’ordre initiatique.
Les changements subis par l’être au cours de son développement sont réellement en multitude indéfinie. Les degrés initiatiques ne sont donc qu’une sorte de classification générale des principales étapes à parcourir et chacun d’eux peut résumer tout un ensemble d’étapes secondaires et intermédiaires.
La seconde naissance est proprement une régénération psychique car les premières phases du développement initiatique se situent dans l’ordre psychique où se situent les modalités subtiles de l’être humain. Elles ne constituent pas un but en elles-mêmes car elles ne sont que préparatoires par rapport à la réalisation de possibilités d’un ordre plus élevé, c’est-à-dire de l’ordre spirituel.
Le point de processus qui marque le passage de l’ordre psychique à l’ordre spirituel pourra être regardé comme constituant une seconde mort et une troisième naissance (c’est l’initiation au grade de maître).
Cette troisième naissance sera d’ailleurs représentée comme une résurrection plutôt que comme une naissance ordinaire car il ne s’agit plus ici d’un commencement mais d’une transformation de possibilités déjà développées et acquises une fois pour toutes.
C’est analogue à celle dont le corps glorieux ou corps de résurrection représente la transformation des possibilités humaines au-delà des conditions limitatives qui définissent le mode d’existence de l’individualité comme telle.
La seconde mort n’est donc rien d’autre que la mort psychique qui se produira après la mort corporelle pour l’homme ordinaire en dehors de tout processus initiatique ; mais cette seconde mort ne donnera pas accès au domaine spirituel et l’être, sortant de l’état humain, passera simplement à un autre état individuel de manifestation.
La principale raison des rites funéraires est donc de maintenir le profane dans les prolongements de l’état humain alors que l’initié ne réalise les possibilités mêmes de l’état humain que pour arriver à le dépasser et nécessairement en sortir sans même avoir besoin d’attendre la dissolution de l’apparence corporelle pour passer aux états supérieurs.
Mais il y a aussi un aspect défavorable à la seconde mort : il se rapporte à la contre initiation. Celle-ci imite dans ses phases l’initiation véritable mais se résultats sont au rebours de celle-ci et ne peuvent en aucun cas conduire au domaine spirituel.
Quand l’individu qui suit cette voie sur trouve face à la mort psychique, il se trouve dans une situation pire que celle du profane pur et simple en raison du développement qu’il a donné aux possibilités les plus inférieures de l’ordre subtil.
C’est le sort réservé aux magiciens noirs dont les méfaits à notre époque sont bien plus étendus que ne sauraient l’imaginer ceux qui n’ont pas eu l’occasion de s’en rendre compte directement.