Chapître 44 : De la hiérarchie initiatique (pages 277 – 281)
A notre époque, toute idée de hiérarchie, même en dehors du domaine initiatique, est obscurcie et contre elle s’acharnent plus spécialement les négations de l’esprit moderne.
Ceci est conforme au caractère anti-traditionnel et égalitariste de celui-ci.
Etrangement, cet égalitarisme est admis, proclamé par des membres d’organisations initiatiques qui, malgré leur amoindrissement et leur déviation, gardent une constitution hiérarchique sans laquelle elles ne pourraient subsister.
Même si la constitution hiérarchique de ces organisations est altérée par l’introduction de certaines formes parlementaires, elle subsiste néanmoins dans l’organisation des grades superposés.
Ces paradoxes et contradictions évidentes ne peuvent s’expliquer que par l’extrême désordre qui partout règne actuellement.
Sans ce désordre, les conceptions profanes n’auraient jamais pu envahir un domaine qui doit leur être strictement fermé par définition et sur lequel elles ne peuvent normalement exercer aucune influence.
Toute organisation initiatique en elle-même est essentiellement hiérarchique :
C’est un des ses traits fondamentaux.
On le retrouve dans les organisations traditionnelles relevant de l’ordre exotérique et même dans des organisations profanes si elles ont été constituées suivant des règles normales (cela se retrouve dans l’armée mais plus du tout dans les hiérarchies administratives qui n’en méritent plus guère le nom en réalité sous aucun rapport).
Mais la hiérarchie initiatique a quelque chose de spécial qui la distingue de toutes les autres : elle est essentiellement formée par des degrés de connaissance (dans son sens véritable de connaissance effective).
Il ne saurait y avoir d’autre conception des degrés initiatiques que celle-ci.
Une image exacte des degrés initiatiques est celle d’une série d’enceintes concentriques qui doivent être franchies successivement de façon à s’approcher d’un centre jusqu’à l’atteindre au dernier degré.
C’est aussi l’image d’une pyramide dont les assises vont toujours en se rétrécissant à mesure qu’on s’élève de la base vers le sommet pour aboutir à un point unique qui joue le même rôle que le centre dans la figure précédente.
Les distinctions successives qui s’opèrent à l’intérieur de l’élite sont donc bien une hiérarchie de degrés.
Ces degrés sont indéfiniment multiples comme les états auxquels ils correspondent et qu’ils impliquent essentiellement dans leur réalisation.
Car c’est bien d’états différents, ou tout au moins de modalités différentes d’un état tant que les possibilités individuelles humaines ne sont pas encore dépassées, qu’il s’agit dès lors que la connaissance est effective et non plus simplement théorique.
C’est pourquoi les degrés existant dans une organisation initiatique quelconque ne sont qu’une sorte de classification schématique et limitée à la considération distincte de certaines étapes principales ou plus nettement caractérisées.
Ces degrés symboliques seront plus ou moins nombreux selon les points de vues particuliers.
Cela n’a pas d’importance et ne touche à aucun principe doctrinal, relevant simplement des méthodes plus spéciales qui peuvent être propres à chaque organisation initiatique.
La seule distinction parfaitement tranchée est celle des petits mystères et des grands mystères qui se rapportent respectivement à l’état humain et aux états supérieurs de l’être.
La répartition des membres d’une organisation initiatique dans ses différents degrés n’est que symbolique par rapport à la hiérarchie réelle car l’initiation à un degré quelconque peut dans bien des cas n’être que virtuelle et la connaissance théorique.
Les deux hiérarchies ne coïncideraient que si l’initiation était toujours effective ou le devenait avant que l’individu n’ait accès à un degré supérieur.
Malheureusement, cela est théoriquement possible mais en fait guère réalisable dans l’état de dégénérescence des organisations initiatiques actuelles qui admettent trop facilement, et même à tous les degrés, des membres dont la plupart sont peu aptes à obtenir plus qu’une simple initiation virtuelle.
Ces défauts n’affectent cependant pas la notion même de hiérarchie initiatique qui demeure indépendante de ce genre de circonstances car un état de fait, si fâcheux qu’il soit, ne peut rien contre un principe et ne saurait aucunement l’affecter.
Citation de Guénon : La distinction que nous venons d’indiquer résout l’objection qui pourrait se présenter à la pensée de ceux qui ont eu l’occasion de constater, dans les organisations initiatiques dont ils peuvent avoir connaissance, la présence, même aux degrés supérieurs, jusqu’au sommet même de la hiérarchie apparente, d’individualités auxquelles toute initiation effective ne fait que trop manifestement défaut.
Une organisation initiatique comporte une hiérarchie de degrés et une hiérarchie de fonctions : Il ne faut jamais confondre les deux hiérarchies car la fonction dont quelqu’un est investi ne lui confère pas un nouveau degré et ne modifie en rien celui qu’il possède déjà.
La fonction n’a qu’un caractère accidentel par rapport au degré, et, si l’exercice d’une fonction déterminée peut exiger la possession de tel ou tel degré, il n’est jamais attaché nécessairement à ce degré, si élevé que celui-ci puisse être.
De plus, la fonction peut être temporaire mais le degré constitue toujours une acquisition permanente, obtenue une fois pour toutes, et que l’on ne peut perdre, qu’il s’agisse d’initiation effective ou simplement d’initiation virtuelle.
Cela précise d’ailleurs la notion de qualification secondaire car, outre les qualifications requises pour l’initiation elle-même, il peut y avoir par surcroît d’autres qualifications plus particulières requises seulement pour remplir telle ou telle fonction dans une organisation initiatique.
En effet, l’aptitude à recevoir l’initiation, même jusqu’au degré le plus élevé, n’implique pas nécessaire l’aptitude à exercer une fonction quelconque, fût-ce la plus simple de toutes.
Citation de Guénon : Dans tous les cas, ce qui seul est véritablement essentiel, c’est l’initiation elle-même avec ses degrés puisque c’est elle qui influe d’une façon effective sur l’état réel de l’être tandis que la fonction ne saurait aucunement le modifier ou y ajouter quoi que ce soit.
La hiérarchie initiatique véritablement essentielle est donc celle des degrés et c’est cela la marque particulière de la constitution des organisations initiatiques.
Le fait d’être investi dans une fonction n’importe en rien en ce qui concerne la simple connaissance théorique ni, à plus forte raison, en ce qui concerne la connaissance effective : il peut donner la faculté de transmettre l’initiation à d’autres ou de diriger certains travaux mais pas celle d’accéder soi-même à un état plus élevé.
Aucun degré ou état spirituel ne peut être supérieur à celui de l’adepte dont la définition est celui qui a atteint la plénitude de l’initiation effective.
On peut juste distinguer l’adepte mineur de l’adepte majeur pour désigner celui qui est parvenu à la perfection dans l’ordre des petits mystères et dans celui des grands mystères.
Donc, quand on parle de hiérarchie initiatique sans plus préciser, il s’agit toujours de la hiérarchie des degrés et c’est celle là seule qui définit les élections successives allant graduellement du simple rattachement initiatique jusqu’à l’identification avec le centre l’individualité humaine (petits mystères) puis de l’être total (grands mystères) jusqu’à la réalisation de l’Identité suprême.