Chapître 5 : de la régularité initiatique (page 35-42) :
a) la transmission de l’influence spirituelle :
Le rattachement à une organisation traditionnelle régulière n’est pas
seulement une condition nécessaire de l’initiation : c’est ce qui constitue l’initiation au sens strict.
C’est à la fois une :
- « seconde naissance » : parce qu’il ouvre l’être à un monde au-delà de celui où s’exerce l’activité de sa modalité corporelle et qui sera pour lui le champ de développement de possibilités d’un ordre supérieur.
- et une « régénération » : parce qu’il rétablit cet être dans des prérogatives qui étaient naturelles aux premiers âges de l’humanité.
Aujourd’hui, l’humanité s’est éloignée de la spiritualité originelle pour s’enfoncer de plus en plus dans la matérialité.
Le rattachement à une organisation traditionnelle régulière permet la
restauration en chaque être de l’état primordial qui est la plénitude et la perfection de l’individualité humaine, résidant au point central unique et invariable d’où l’être pourra ensuite s’élever aux états supérieurs.
Le rattachement dont il s’agit doit être réel et effectif, et non « idéal », c’est-à-dire prétendant faire revivre des formes traditionnelles entièrement disparues.
La transmission de l’influence spirituelle doit s’effectuer selon des lois définies qui sont tout aussi rigoureuses que celles du monde profane, quoique différentes.
Analogiquement il y a continuité entre tous les états ou degrés de l’Existence universelle. C’est pourquoi on parle de « vibration » pour le FIAT LUX et de « lumière » bien que celle-ci n’ait rien à voir avec ce qui peut être saisi par la vue. On parle dans ces cas là de « lumière intelligible » ou de « lumière spirituelle », de même que la tradition islamique assimile l’Esprit (Er-Rûh) à la Lumière (En-Nûr).
Il ne faut donc pas prendre l’analogie pour l’identité et croire que l’on peut assimiler les influences spirituelles à des forces physiques (électricité, magnétisme). Les points de vue des sciences traditionnelles et de la science moderne et profane resteront inconciliables car le point de vue profane est illégitime et sa science vaine.
Il faut donc insister sur la nécessité d’un rattachement effectif, même si cela doit gêner certains dans l’idée simpliste qu’ils se sont formés de l’initiation et dans leurs prétentions et assertions injustifiées.
b) peut-on s’initier soi-même ?
L’intention d’être initié ne saurait donc suffire pour assurer à un individu une
initiation réelle. Il ne s’agit là ni d’érudition, ni de rêve ou d’imagination, ni de quelconques aspirations sentimentales. Il serait trop facile d’être initié par le lecture de livres (même issus d’une pure tradition orthodoxe et commentés dans une perspective ésotérique) ou de songer à quelque organisation présente ou passée devenant ainsi « idéale ».
Personne ne peut se considérer tout seul comme « qualifié » car, étant juge et partie, son opinion serait forcément suspecte.
Si l’on s’initiait soi-même, il n’y aurait plus de sélection ni de contrôle, plus de moyens de reconnaissance, plus de hiérarchie possible, plus de transmission de quoi que ce soit … en fait plus d’initiation même.
De simples profanes se poseraient ainsi en initiés.
Tout cela serait fort négligeable si le désordre intellectuel de notre
époque ne permettait à toutes ces divagations de se propager avec une
grande facilité. L’initiation est une chose sérieuse dont on accepte la réalité « positive » ou dont on ne se mêle pas.
L’intention d’être initié venant d’un individu ne suffit donc pas : il faut qu’il soit accepté par une organisation traditionnelle régulière ayant qualité pour lui conférer l’initiation, c’est-à-dire pour lui transmettre l’influence spirituelle.
Précisons que n’importe quelle organisation traditionnelle ne peut convenir à chacun : Il convient que celui-ci ne soit pas étranger à sa forme extérieure. C’est le cas par exemple des initiations basées sur un métier. L’individu à initier doit au moins avoir un lien avec ce métier.
L’intention de l’individu peut aussi être sincère mais il arrive qu’il ne puisse être initié, faute de qualification. Il ne s’agit ici aucunement de morale mais de règles techniques se référant à des lois « positives » et dont la nécessité s’impose inéluctablement.
C’est du même ordre que les conditions
physiques et mentales qui s’imposent à l’exercice de certaines professions.
S’il n’est pas qualifié, l’individu ne pourra même pas avoir une compréhension véritable des connaissances théoriques indispensables, sans parler de l’impossibilité qu’il aura à développer en lui les possibilités qui lui permettraient de se transformer pour atteindre à la réalisation intérieure.
c) des organisations initiatiques :
E ce qui concerne les organisations initiatiques, il faut dire qu’on ne peut transmettre que ce que l’on possède soi-même. Il faut donc qu’une organisation soit dépositaire d’une influence spirituelle pour pouvoir la communiquer aux individus qui se rattachent à elle. Cela exclut toutes les organisations pseudo-initiatiques dépourvues de caractère authentiquement traditionnel : très nombreuses aujourd’hui.
Une organisation initiatique ne saurait être le produit d’une fantaisie individuelle. Rien à voir avec une association profane lancée à l’initiative de quelques personnes qui décident de se réunir en adoptant des formes quelconques.
Il ne suffit pas non plus d’avoir, par érudition, emprunté des éléments à des rites réellement traditionnels car là aussi il manquera toujours la filiation régulière, la transmission de l’influence spirituelle : il ne s’agira là que d’une
vulgaire contrefaçon de l’initiation.
Il en est de même des hypothétiques reconstitutions de formes traditionnelles disparues depuis longtemps (Egypte, Chaldée). Même si le travail de recherche a été fait sérieusement, cela sera toujours inefficace car il manquera toujours :
- le rattachement a quelque chose qui a une existence actuelle.
- l’acceptation par les représentants autorisés de la Tradition à laquelle on se réfère.
Une organisation apparemment nouvelle ne pourra être légitime que si elle
est comme un prolongement d’une organisation préexistante, de façon à
maintenir sans aucune interruption la continuité de la « chaîne » initiatique.
Le rattachement doit être direct et effectif, et non « idéal ».
Il ne faut pas se laisser duper par les dénominations que s’attribuent certaines organisations sans en avoir le droit. Exemple de groupement
qui se disent « rosicruciens » sans aucun rattachement à la Rose-Croix
dont il ne connaissent rien et prouvent leur ignorance en croyant qu’il
s’agissait d’une société.
Que ce soit supercherie ou idéal naïf, dans tous les cas, d’un point de vue initiatique, il n’y a aucun lien entre la Rose-Croix et les groupements modernes qui s’en réclament.
C’est aussi le cas de toutes les « néo-organisations » qui n’ont rien à transmettre et sont une contrefaçon, voire une parodie et même une caricature de l’initiation.
A part peut-être quelques groupements d’hermétisme chrétien remontant au Moyen-Age (très restreints), il ne reste plus aujourd’hui que deux organisations initiatique pouvant prétendre à une origine traditionnelle authentique et à une transmission initiatique réelle : ce sont le Compagnonnage et la Franc-Maçonnerie (qui n’étaient primitivement qu’une seule), et ceci malgré leur dégénérescence actuelle et l’ignorance et l’incompréhension de la majorité de leurs membres.
Tout le reste n’est que fantaisie ou charlatanisme, ou pire !
Dans une organisation initiatique authentique, personne ne peut en changer
les formes à son gré ou les altérer dans ce qu’elles ont d’essentiel.
Une adaptation aux circonstances s’impose parfois mais à condition de
ne pas porter atteinte aux moyens par lesquels sont assurées la conservation et la transmission de l’influence spirituelle dont l’organisation considérée est dépositaire… sinon risque de rupture avec la Tradition et perte de la « régularité ».
Une organisation traditionnelle authentique ne peut pas non plus incorporer à ses rites des éléments étrangers, empruntés à des formes traditionnelles
extérieures. Exemple de l’essai d’implanter des éléments empruntés à des doctrines orientales dans la Maçonnerie qui est une forme initiatique proprement occidentale.L’adoption d’éléments extérieurs n’auraient aucune efficacité initiatique et causerait trouble et désharmonie.
Les lois qui président au maniement des influences spirituelles sont chose trop complexe et trop délicate pour être modifiées de façon arbitraire par ceux qui n’en ont pas une connaissance suffisante.
Guénon insiste encore sur la nullité des initiatives individuelles quant à la constitution des organisations initiatiques, soit par leur origine, soit par leur forme : Il n’existe pas de formes rituéliques traditionnelles auxquelles ont puisse assigner comme, auteurs des individus déterminés.
Le but final de l’initiation dépasse le domaine de l’individualité et ses possibilités particulières. Ceci suppose donc la présence d’un élément non-humain qui caractérise l’influence spirituelle dont la transmission constitue l’initiation proprement dite.