Chapître 11 : Organisations initiatiques et sectes religieuses (page 72-76) :
Complexe est l’étude des organisations initiatiques et compliquée par les erreurs dues à la méconnaissances de leur véritable nature.
Parmi les erreurs concernant les organisations initiatiques, l’une consiste à les considérer comme des sectes. Le mot « sectes » a une connotation péjorative désagréable bien que procédant parfois plus de l’habitude que d’une mauvaise intention : comme le fait d’appeler « paganisme » les religions de l’antiquité.
Cependant la confusion entre organisations initiatiques et sectes n’est pas toujours purement involontaire car elle est due à des ennemis ou négateurs de l’ésotérisme, que ce soit dans le monde chrétien ou dans le monde islamique : terme arabe : firqah qui exprime l’idée de division comme le mot secte.
En effet, l’idée est de faire rejaillir sur l’ésotérisme le discrédit appliqué aux hérésies religieuses qui portent aussi le nom de secte.
Or, il ne s’agit pourtant pas là de religion mais de « connaissance pure » et de « science sacrée » : ce caractère sacré ne saurait être le monopole de la religion. Mais le plus important est qu’il s’agit d’une science, quoique dans un sens très différent des sciences profanes qui n’ont pas de valeur au point de vue traditionnel car elles procèdent d’une altération de l’idée même de science.
La confusion peut aussi provenir du fait que l’ésotérisme a de nombreux rapports avec la religion à cause de leur caractère traditionnel commun ; l’ésotérisme peut même prendre sa base et son point d’appui sur une forme religieuse définie ; mais il ne s’en rapporte pas moins à un tout autre domaine et ne peut entrer ni en opposition ni en concurrence avec la religion.
N’oublions jamais que l’ésotérisme est un ordre de connaissance réservé à une élite alors que l’exotérisme (religieux ou pas) s’adresse à tous indistinctement.
C’est pourquoi l’initiation, au sens vrai du mot, impliquant des « qualifications » particulières, ne peut pas être d’ordre religieux. Dans l’ordre religieux il peut y avoir des aptitudes particulières à certaines fonctions (comme l’ordination sacerdotale) mais dans l’ordre initiatique, les qualifications sont nécessaires pour recevoir l’initiation elle-même.
Il est vraiment absurde de supposer qu’une organisation initiatique puisse faire concurrence à une organisation religieuse. Son caractère fermé et son recrutement restreint le désavantageraient trop. Par ailleurs, ne pas maintenir ce recrutement restreint est une des causes premières de dégénérescence pour une organisation initiatique.
Un point important : le mot « secte » signifie forcément « scission » ou « division » engendrées par des divergences entre les membres d’une religion : les sectes sont donc multiplicité et leur éloignement implique un éloignement du principe.
Au contraire, l’ésotérisme est par sa nature même plus proche du principe que l’exotérisme. Car c’est par l’ésotérisme que s’unifient toutes les doctrines traditionnelles, au-delà de leurs différences.
Les organisations initiatiques sont donc le contraire des sectes. Les écrivains anti-maçonniques qui traitent l’Ordre de « Secte » montrent combien est grand le désordre mental de notre époque.
Sectes, schismes et hérésies sont dérivées d’une religion donnée dans laquelle ils ont pris naissance en tant que branches irrégulières. Mais l’ésotérisme ne peut être dérivé de la religion car il la relie effectivement au principe et représente par rapport à elle la Tradition antérieure à toutes les formes extérieures particulières.
L’intérieur ne peut être produit par l’extérieur non plus que le centre par la circonférence, ni le supérieur par l’inférieur, ni l’esprit par le corps.
Les influences qui président aux organisations traditionnelles vont toujours en descendant et ne remontent jamais ; pas plus qu’un fleuve ne remonte à sa source.
Prétendre que l’initiation pourrait être issue de la religion, c’est renverser tous les rapports normaux qui résultent de la nature même des choses.
Par rapport à l’exotérisme religieux, l’ésotérisme est comme l’esprit par rapport au corps si bien qu’une religion qui a perdu tout contact avec l’ésotérisme n’est plus que « lettre morte » et formalisme incompris car, ce qui la vivifiait, c’était la communication effective avec le centre spirituel du monde et celle-ci ne peut être maintenue que par l’ésotérisme véritable et régulier.
Guénon avance la notion de « point de contact » qui implique l’existence d’une limite commune aux deux domaines, ce qui établit leur communication mais n’entraîne aucune confusion entre eux.
Des sectes ont pu apparaître à cause d’une diffusion inconsidérée de fragments de doctrine ésotérique plus ou moins incomprise. Il s’agit là d’une vulgarisation dont l’ésotérisme ne saurait être responsable, en fait d’une « profanation » au sens étymologique du mot. Attribuer ainsi un caractère religieux qui le dénature entièrement à un enseignement initiatique montre l’ignorance de ceux qui n’avaient pas la qualification nécessaire pour le recevoir. Prenons le cas des Albigeois au Moyen Age. A contrario, les « fidèles d’Amour » de Dande n’étaient point hérétiques car ils se tenaient strictement sur le terrain initiatique. Tout cela prouve d’ailleurs la préexistence et l’indépendance de l’enseignement initiatique par rapport aux sectes.
Pourquoi de telles déviations ont-elles eu lieu ? Tout d’abord parce que, quelles que soient les précautions que l’on prend, il est impossible d’empêcher toute divulgation.
Ces divulgations étant logiquement partielles et fragmentaires (car portant sur ce qui est le plus accessible), les déformations qui s’ensuivent n’en sont que plus accentuées.
Peut-être aussi l’existence des sectes est elle nécessaire à l’histoire de l’humanité car « tout désordre apparent n’est en réalité qu’un élément de l’ordre total du monde ». Le point de vue ésotérique et initiatique permet d’ailleurs de considérer les querelles du monde extérieur dans la conciliation des oppositions.
C’est pourquoi les organisations initiatiques ne doivent pas prendre parti dans les querelles du monde extérieur alors que les sectes y sont par nature engagées inévitablement.