Chapître 29 : Opératif et spéculatif (page 192 -197) :
Il y a une méprise très répandue sur le sens du mot opératif de même que sur celui de spéculatif qui en est l’opposé.
Or, il y a un rapport étroit entre cette méprise et la méconnaissance générale de ce que doit être réellement l’initiation.
La question se pose de manière particulière en ce qui concerne la Maçonnerie qui emploie habituellement ces termes mais elle s’applique plus généralement à toutes les formes initiatiques.
L’erreur vient du fait que l’initiation maçonnique est liée à un métier et que tout ce qu’il a de spécifique (symboles, rites, méthodes) prend appui sur le métier de constructeur.
Du coup, l’on confond opératif et corporatif en s’arrêtant à l’aspect le plus superficiel des choses.
Selon l’opinion courante, les maçons opératifs étaient exclusivement des hommes de métier qui acceptèrent peut à peu et à titre honorifique des personnes étrangères à l’art de bâtir.
Ensuite, celles-ci devinrent prédominantes, d’où la transformation de la maçonnerie opérative en maçonnerie spéculative n’ayant plus avec le métier qu’un rapport idéal.
L’idée unanime est que ce changement marque une supériorité et un progrès de la maçonnerie spéculative sur la maçonnerie opérative. On oppose alors les spéculations de la pensée aux occupations du métier.
En fait, on distinguait alors les maçons libres qui étaient les hommes de métier (affranchis des taxes corporatives et libres de naissance) et les maçons acceptés qui n’étaient pas des professionnels : Ainsi, les ecclésiastiques étaient initiés dans des loges spéciales pour pouvoir remplir les fonctions de chapelain dans les loges ordinaires ; Ils étaient appelés « brother Jakin » et initiés dans des « lodges of Jakin ».
Tous étaient membres d’une maçonnerie opérative, dont les loges comprenaient obligatoirement un chapelain et un médecin.
C’est parmi eux que naquit la maçonnerie spéculative, ce qui s’explique à la fois :
- par le fait qu’ils n’avaient pas reçu la totalité des grades opératifs (d’où des lacunes que la maçonnerie des Anciens eut à combler)
- par leur manque de rattachement direct au métier et donc de la perte de vue de la réalisation initiatique propre au métier
- par leur plus grande sensibilité à l’influence du monde profane qui les distrayait alors du travail initiatique.
Ainsi, le passage de l’opératif au spéculatif ne constitue pas un progrès mais une dégénérescence au sens d’un amoindrissement qui consiste en la négligence et l’oubli de tout ce qui est une réalisation car c’est là ce qui est véritablement opératif.
Donnons pour le mot spéculation la définition d’un reflet comme l’image vue dans un miroir (speculum = miroir) : il s’agît donc là d’une connaissance indirecte par opposition à la connaissance effective qui est la connaissance immédiate de la réalisation.
De même le mot opératif ne doit pas être considéré uniquement comme un équivalent de pratique : il s’agit en fait de cet accomplissement de l’être qu’est la réalisation initiatique.
En conséquence, tout ce qui reste dans une initiation spéculative est une initiation virtuelle, réelle certes car la transmission initiatique perdure, mais limitée par la force même des choses puisque le stade opératif ne peut être atteint.
Les rites demeurent le véhicule de l’influence spirituelle mais leur effet est différé quant à son développement en acte et il se présente comme un germe auquel manquent les conditions de son éclosion, ces conditions résidant dans le travail opératif par lequel seul l’initiation peut être rendue effective.
Cette dégénérescence ne change rien à la nature essentielle de l’organisation initiatique et même l’opportunité d’une restauration reste préservée si les conditions y devenaient favorables.
Cependant, l’amoindrissement de l’organisation permet les déviations au moins partielles et rend la restauration plus difficile.
Quoi qu’il en soit, une organisation initiatique possédant une filiation authentique et légitime, quel que soit l’état plus ou moins dégénéré où elle se trouve réduite, ne saurait jamais être confondue avec une pseudo initiation quelconque qui n’est qu’un pur néant ni avec la contre initiation qui est négative.
Le point de vue spéculatif est inférieur et une organisation initiatique n’est point un groupement philosophique où l’on se livre à des discussions académiques (comme les sociétés de pensée).
La spéculation philosophique est une déviation et la spéculation portant sur le domaine initiatique est un amoindrissement, sauf à être une préparation au travail opératif.
Il y a déviation chaque fois qu’il y a confusion entre le point de vue initiatique et le point de vue profane.
En résumé, le terme spéculatif correspond à l’initiation virtuelle
et le terme opératif correspond à l’initiation effective.