Chapître 39 : Grands et petits mystères (pages 248 – 253)
Ces désignations sont empruntées à l’antiquité grecque mais sont susceptibles d’une application générale.
Grands mystères et petits mystères ne sont pas des genres d’initiation différents mais des degrés d’une même initiation si l’on envisage celle-ci comme devant être poursuivie jusqu’à son terme ultime.
Les petits mystères sont une préparation aux grands mystères.
Cependant, chaque être ne peut aller que jusqu’au point où s’arrêtent ses possibilités propres.
Ainsi, certains peuvent n’être qualifiés que pour les petits mystères, ou même pour une portion plus ou moins restreinte de ceux-ci.
Ils ne sont donc pas capables de suivre la voie initiatique jusqu’au bout mais ne suivent pourtant pas un autre voie que ceux qui peuvent aller plus loin qu’eux.
Les petits mystères comprennent tout ce qui se rapporte au développement des possibilités de l’état humain envisagé dans son intégralité.
Ils aboutissent à la perfection de cet état, qui est désignée comme la restauration de l’état primordial.
Les grands mystères concernent la réalisation des états supra-humains :
Ils prennent l’être au point où l’ont laissé les petits mystères, et qui est le centre du domaine de l’individualité humaine, ils le conduisent au-delà de ce domaine, et à travers les états supra individuels mais encore conditionnés, jusqu’à l’état inconditionné, qui est le seul véritable but, et qui est désigné comme la Délivrance finale ou l’Identité Suprême.
En appliquant à ces deux phases le symbolisme géométrique de la Croix, on parlera de réalisation horizontale et de réalisation verticale, la première servant de base à la seconde.
Cette base est représentée symboliquement par la terre, domaine humain, et la réalisation supra humaine est décrite comme son ascension à travers les cieux qui correspondent aux états supérieurs de l’être.
Et si la seconde précède la première, c’est que le point central de l’état humain est le seul où soit possible la communication directe avec les états supérieurs, et suivant l’axe vertical qui rencontre en ce point le domaine humain. C’est ainsi, comme dit Dante, que le Paradis terrestre est une étape sur la voie qui mène au Paradis céleste. C’est aussi la différence entre l’homme primordial et l’homme universel de la tradition islamique. C’est aussi celle de l’homme véritable et de l’homme transcendant du Taoïsme.
Dante met le Paradis terrestre en rapport avec ce que doit être au point de vue traditionnel le rôle du pouvoir temporel, et le Paradis céleste avec celui de l’autorité spirituelle.
Ce sont les fonctions royale et sacerdotale d’où il résulte que les Grands mystères sont en reliés à l’initiation sacerdotale et les petits mystères à l’initiation royale.
Leurs applications sont désignées sous les noms d’art sacerdotal et d’art royal.
Ils sont en Inde les domaines respectifs des Brahmanes et des Kshatriyas. On peut aussi dire que le premier des deux domaines est d’ordre surnaturel ou métaphysique tandis que le second est d’ordre naturel ou physique.
Les petits mystères comportent essentiellement la connaissance de la nature (au sens traditionnel et non profane) et les grands mystères la connaissance de ce qui est au-delà de la nature.
La connaissance métaphysique pure relève donc des Grands mystères et la connaissance des sciences traditionnelles des Petits mystères.
D’elles dérivent nécessairement toutes les sciences traditionnelles.
Les Petits mystères dépendent des Grands mystères dont ils tirent leur principe comme le pouvoir temporel, pour être légitime, dépend de l’autorité spirituelle dont il tire son principe.
Mais les Brahmanes et les Kshatriyas ne sont pas seuls qualifiés pour l’initiation, les Vaishyas aussi.
Et les formes initiatiques basées sur l’exercice des métiers leur sont plus spécialement destinées.
C’est d’ailleurs à ces formes que se rattache tout ce qui subsiste d’organisations initiatiques en Occident.
Plus encore que pour les Kshatriyas, le domaine initiatique qui convient aux Vaishyas est celui des petits mystères.
Cela explique les nombreux contacts entre les formes d’initiation destinées aux uns et aux autres.
Cela explique qu’une expression comme Art royal ait pu être associée à la Maçonnerie.
Il est évident qu’au-delà de l’état humain, les différences individuelles, sur lesquelles s’appuient les initiations de métier, disparaissent entièrement pour ne plus jouer aucun rôle.
Dès que l’être est parvenu à l’état primordial, les différenciations qui donnent naissance aux diverses fonctions spécialisées n’existent plus, bien qu’elles y aient également leur source, ou plutôt par cela même.
Et c’est bien à cette source commune qu’il s’agit de remonter, en allant jusqu'au terme des petits mystères, pour posséder dans sa plénitude tout ce qui est impliqué par l’exercice d’une fonction quelconque.
Dans l’histoire de l’humanité enseignée par les doctrines traditionnelles (selon les lois cycliques), à l’origine, l’homme, ayant la pleine possession de son état d’existence, avait naturellement par la même les possibilités correspondant à toutes les fonctions, antérieurement à toute distinction de celles-ci.
Car la division de ces fonctions se produisit dans un stade ultérieur, représentant un état déjà inférieur à l’état primordial, mais dans lequel chaque être humain, tout en n’ayant plus que certaines possibilités déterminées, avait encore spontanément la conscience effective de ces possibilités.
Par contre, dans une période suivante, de plus grande obscuration, cette conscience vint à se perdre et dès lors l’initiation devint nécessaire pour permettre à l’homme de retrouver, avec cette conscience, l’état antérieur auquel elle est inhérente.
C’est là le premier et le plus immédiat des buts de l’initiation.
Pour être possible, cela implique une transmission remontant, par une chaîne ininterrompue, jusqu’à l’état qu’il s’agit de restaurer, et ainsi, de proche en proche, jusqu’à l’état primordial lui-même.
Et encore, l’initiation ne s’arrête pas là car les petits mystères ne sont que la préparation aux grands mystères, c'est-à-dire à la prise de possession des états supérieurs de l’être.
Et il faut en définitive remonter au-delà même des origines de l’humanité.
C’est pourquoi la question d’une origine historique de l’initiation apparaît entièrement dépourvue de sens.
Il en est de même en ce qui concerne l’origine des métiers, des arts et des sciences, envisagés dans leur conception traditionnelle et légitime car tous dérivent pareillement de l’état primordial qui les contient tous en principe et par là ils se relient aux autres ordres d’existence, au-delà de l’humanité même, ce qui est d’ailleurs nécessaire pour qu’ils puissent, chacun à son rang et selon sa mesure, concourir effectivement à la réalisation du plan du Grand Architecte de l’Univers.
Puisque les Grands mystères ont pour domaine la connaissance métaphysique pure, qui est essentiellement une et immuable en raison même de son caractère principiel, c’est seulement dans le domaine des Petits mystères que des déviations peuvent se produire.
Cela se passe quand le lien normal avec les Grands mystères a été rompu et que les petits mystères en sont arrivés à être pris pour une fin en eux-mêmes.
C’est aussi dans ce domaine des petits mystères (et là seulement) que la contre-initiation est susceptible de s’opposer à l’initiation véritable et d’entrer en lutte avec elle.
Par contre, le domaine des Grands mystères, qui se rapporte aux états supra humains et à l’ordre purement spirituel, est par sa nature même au-delà d’une telle opposition et entièrement fermé à tout ce qui n’est pas la vraie initiation selon l’orthodoxie traditionnelle.
De tout cela, il résulte que la possibilité d’égarement subsiste tant que l’être n’est pas encore réintégré dans l’état primordial mais qu’elle cesse d’exister dès qu’il a atteint le centre de l’individualité humaine.
On peut donc dire que celui qui est parvenu à ce point, c'est-à-dire à l’achèvement des petits mystères, est déjà virtuellement délivré bien qu’il ne puisse l’être effectivement que lorsqu’il aura parcouru la voie des Grands mystères et réalisé finalement l’Identité Suprême.