Chapître 47 : Verbum, Lux et Vita (page 294 -298) :
L’acte du Verbe produisant l’illumination est à l’origine de toute manifestation.
Analogiquement, il se retrouve aussi au point de départ du processus initiatique.
De plus, il y a une étroite connexion d’un point de vue cosmogonique, entre le son et la lumière.
Cela est très bien exprimé par l’identification établie au début de l’Evangile selon Saint Jean entre les termes Verbum, Lux et Vita.
La tradition hindoue considère la luminosité (taijasa) comme caractérisant proprement l’état subtil et affirme en même temps la primordialité du son (shabda) parmi les qualités sensibles.
Parmi les éléments, le son correspond à l’éther : Cette affirmation se réfère au monde corporel mais peut être transposée dans d’autres domaines car la traduction dans le monde corporel n’est qu’un cas particulier de la manifestation universelle.
Notons que les Hindous distinguent deux sortes de son : parâ ou non manifesté, et pashyantî ou parole articulée, cette dernière seule se rapportant au son comme qualité sensible appartenant à l’ordre corporel.
Dans la manifestation envisagée dans son intégralité, toutes choses sont produites par le Verbe ou la Parole divine qui est au principe de toute manifestation.
La première parole proférée est le Fiat Lux par lequel est illuminé et organisé le chaos des possibilités : Lien direct dans l’ordre principiel entre le son et la lumière (analogiquement bien sur), c'est-à-dire entre ce dont le son et la lumière, au sens ordinaire de ces mots, sont les expressions respectives dans notre monde.
La parole divine est l’ordre par lequel est effectuée la création : la production de la manifestation universelle, dans son ensemble ou dans l’une de ses modalités.
Pour l’Islam, la première création est la lumière (En-Nûr) qui procède immédiatement du commandement divin.
Cette création se situe dans le monde spirituel pur.
En effet, la lumière intelligible est l’essence de l’Esprit (Er-Rûh) et celui-ci lorsqu’il est envisagé au sens universel s’identifie à la Lumière elle-même.
Les expression En-Nûr el-muhammadi et Er-Rûh el-muhammadi sont équivalentes et désignent l’une et l’autre la forme principielle et totale d’ ADAM, l’Homme Universel, qui est « le premier de la création divine ».
C’est là le véritable Cœur du monde dont l’expansion produit la manifestation de tous les êtres, tandis que sa contraction les ramène finalement au Principe. (cf symbolisme du double mouvement du cœur, équivalent aux deux phases inverses et complémentaires de la respiration, au coagula et solve de l’hermétisme).
Il est donc à la fois le premier et le dernier par rapport à la création comme Allah est le Premier et le Dernier au sens absolu : Cœur des cœurs et Esprit des esprits, en son sein (dans le domaine de la manifestation supra individuelle) se différencient les « esprits » particuliers, les anges et les « esprits » séparés qui sont ainsi formés de la Lumière primordiale comme de leur unique essence, sans mélange des éléments représentant les conditions déterminantes des degrés inférieurs de l’existence.
Dans le degré d’existence auquel appartient l’état humain (notre monde et l’état humain envisagés intégralement, et non pas restreints à la seule modalité corporelle), nous devons y trouver comme centre un principe correspondant à ce Cœur universel dont il est la spécification par rapport à l’état dont il s’agit.
Ce principe est désigné par la doctrine hindoue sous le nom de Hiranyagarbha : c’est un aspect de Brahmâ, c'est-à-dire du Verbe producteur de la manifestation (n’oublions jamais : Brahmâ est producteur par rapport à notre monde mais en même temps il est produit par rapport au Principe suprême, c’est pourquoi il est appelé Kârya-Brahma.)
Hiranyagarbha est aussi Lumière (Taïjasa) ; il est le « principe vital » de ce monde tout entier, c’est pourquoi il est dit « jîva-ghana , toute vie étant synthétisée principiellement en lui ; il est le germe vivant de « l’œuf du monde » (Brahmânda).
L’état correspondant à la première modalité subtile de l’ordre humain constitue proprement le monde de Hiranyagarbha mais il n’est pas l’identification avec le centre lui-même.
L’être s’y sent comme une vague de l’Océan primordial (l’océan est le symbole hindou de l’ensemble des possibilités contenues dans un certain état d’existence, chaque vague y correspondant à la détermination d’une possibilité particulière.).
On ne sait si cette vague est une vibration sonore ou une onde lumineuse ; elle est en réalité l’une et l’autre, étroitement unies au-delà de toute différenciation qui ne se produit qu’à un stade ultérieur dans le développement de la manifestation.
Tous ces mots sont à prendre évidemment dans un sens analogique car, dans l’état subtil, il n’y a ni son ni lumière au sens ordinaire c'est-à-dire en tant que qualités sensibles, mais seulement de ce dont ils procèdent respectivement.
Par ailleurs, la vibration ou l’ondulation sont des mouvements qui nécessitent des conditions d’espace et de temps qui sont propres au domaine de l’existence corporelle.
Même si tout cela est analogique, il nous relie à un état « vibratoire » dont les pulsations du cœur ou les mouvements alternés de la respiration sont l’image dans la vie organique :
D’où l’importance de la science du rythme dont le rôle est très important dans la plupart des méthodes de réalisation initiatique.
Cette science comprend le mantra-vidya (dans la tradition hindoue), le dikhr (dans la tradition islamique) qui correspondent à l’aspect « sonique ».
La tradition hindoue attribue une double nature lumineuse et sonore à Kundalinî, la force cosmique qui agit proprement comme force vitale de l’être humain : Kundalinî est représentée symboliquement comme un serpent enroulé sur lui-même en forme d’anneau (kundala).
Ses rapports avec l’œuf du monde sont très étroits dans de nombreuses traditions : cf le dieu égyptien Kneph, serpent qui produit l’œuf du monde par la bouche (rôle du verbe comme producteur de la manifestation). Cf aussi l’œuf de serpent des Druides qui était figuré par l’oursin fossile.
Nous retrouvons bien les trois termes : Verbum, Lux et Vita, inséparables entre eux au principe même de l’état humain, dans le parfait accord des doctrines traditionnelles qui ne sont en réalité que les expressions diverses de la Vérité une.