Chapître 18 : Symbolisme et philosophie (page 129 -135) :
Le symbolisme est inhérent à tout ce qui présente un caractère traditionnel. C’est un des traits par lesquels les doctrines traditionnelles se distinguent de la pensée profane à laquelle le symbolisme est complètement étranger car il traduit proprement quelque chose de « non humain ».
Pourtant les philosophes s’occupent parfois du symbolisme et émettent alors des théories bien étranges. Certains ont même voulu constituer une « psychologie du symbolisme » qui se rattache à l’erreur moderne du psychologisme, cas particulier de la tendance à tout réduire à des éléments exclusivement humains.
Quelques-uns cependant reconnaissent que le symbolisme ne relève pas de la philosophie ; mais ils donnent à cette assertion un sens défavorable, le symbolisme étant considéré comme une chose inférieure à la philosophie.
Peut-être confondent ils symbolisme et ce pseudo-symbolisme de certains littérateurs.
En réalité, le symbolisme est une « forme de pensée » (mais pas seulement) opposée à la philosophie qui en est une autre. Or, la philosophie n’est qu’un point de vue très spécial, valable dans un domaine restreint dont le grand tord (tout profane) est de ne pas savoir reconnaître ses limites.
Le symbolisme a une toute autre portée et on ne peut le mettre sur le même plan que la philosophie. Les philosophes ne sont pas d’accord mais leur point de vue est partial et ils n’arriveront jamais à pénétrer le sens profond du symbolisme parce que celui-ci est en dehors de leur façon de penser et dépasse leur compréhension.
D’ailleurs, en employant des mots qui sont des symboles, la philosophie rentre inconsciemment dans le domaine du symbolisme, et non l’inverse.
L’opposition principale vient de ce que la philosophie et essentiellement analytique alors que le symbolisme est essentiellement synthétique. Par définition, la forme du langage est discursive comme la raison humaine dont il est l’instrument propre. Au contraire, le symbolisme est intuitif, ce qui le rend plus apte que le langage à servir de point d’appui à l’intuition intellectuelle et supra rationnelle. C’est pourquoi il constitue le mode d’expression par excellence de tout enseignement initiatique.
La philosophie représente le type de la pensée discursive, ce qui lui impose les limitations dont elle ne saurait s’affranchir. Par contre, le symbolisme, en tant que support de l’intuition transcendante, ouvre des possibilités véritablement illimitées.
De caractère discursif, la philosophie est chose exclusivement rationnelle : le domaine de la philosophie ne peut s’étendre au-delà de ce que la raison est capable d’atteindre. La philosophie ne recouvre d’ailleurs pas la totalité des connaissances rationnelles.
Il ne s’agit pas ici de contester la valeur de la raison dans son domaine propre si celle-ci ne cherche pas à le dépasser. Mais cette valeur et ce domaine sont relatifs. Le mot « ratio » lui-même n’a-t-il pas le sens de « rapport » ?
Il en est de même pour la dialectique qui ne doit jamais être qu’un moyen et non une fin en elle-même et ne peut s’appliquer à tout indistinctement. Pour s’en rendre compte, il faut sortir des bornes de la dialectique, ce que ne peut faire la philosophie.
Même si la philosophie va aussi loin que cela lui est possible, jusqu’aux limites du domaine de la raison, cela est bien peu car les méthodes discursives du philosophe ne peuvent atteindre l’inexprimable qui est le mystère au sens le plus profond de ce mot.
Au contraire, le symbolisme a pour fonction de faire « assentir » l’inexprimable pour atteindre effectivement l’intuition intellectuelle. La portée du symbolisme dépasse ainsi incomparablement celle de toute philosophie possible. Même la philosophie la plus excellente est « de la paille » (Saint Thomas) par rapport au symbolisme.
Si l’on considère le symbolisme comme une forme de pensée, on ne l’envisage que sous le rapport purement humain, seul possible pour une comparaison avec la philosophie. En tant que mode d’expression à l’usage de l’homme, il ne touche aucunement à son essence et représente le côtés le plus extérieur de la question. Or, non-humain, le symbolisme a son fondement dans la nature même des êtres et des choses, en parfaite conformité avec les lois de cette nature, les lois naturelles n’étant elles-mêmes que qu’une expression, une extériorisation de la Volonté divine ou principielle.
Le véritable fondement du symbolisme est la correspondance qui existe entre tous les ordres de la réalité, qui les relie l’un à l’autre, et qui s’étend de l’ordre naturel à l’ordre surnaturel. En vertu de cette correspondance, la nature tout entière n’est elle-même qu’un symbole : elle ne reçoit sa vraie signification que si on la regarde comme un support pour nous élever à la connaissance des vérités surnaturelles (métaphysiques), ce qui est la raison profonde de toute science traditionnelle : le monde est un langage divin pour qui sait le comprendre : « coeli enarrant gloriam Dei ». (traduction : les cieux racontent la gloire de Dieu).
Dans le symbolisme, il y a quelque chose dont l’origine remonte plus haut et plus loin que l’humanité ; cette origine est dans l’œuvre même du Verbe divin : elle est dans la manifestation universelle elle-même, elle est dans la Tradition primordiale, elle aussi « révélation » du Verbe. Cette Tradition (dont toutes les autres sont des formes dérivées) s’incorpore dans des symboles qui se sont transmis d’age en age sans origine historique connue et le processus de cette incorporation symbolique est analogue à celui de la manifestation.
Que vaut donc la philosophie face à la valeur du symbolisme ? L’origine du symbolisme se confond avec celle des temps, et même au-delà des temps puisque ceux-ci ne comprennent en réalité qu’un mode spécial de la manifestation. D’ailleurs, aucun symbole ne peut être rapporté à un inventeur humain, au contraire de toute philosophie qui remonte à une époque déterminée (récente), le VIème siècle avant Jésus-Christ et est toujours l’œuvre de quelqu’un dont le nom est connu.
C’est pourquoi toute comparaison entre la philosophie et le symbolisme suppose de se borner à envisager celui-ci de son côté purement humain puisque, pour tout le reste, on ne saurait trouver dans l’ordre philosophique ni équivalence ni même correspondance de quelque genre que ce soit.
Au mieux, la philosophie est la « sagesse humaine » ou une de ses formes. Elle n’est que cela, ce qui est bien peu de choses. Elle n’est que cela car elle est une spéculation toute rationnelle et que la raison est une faculté purement humaine. « sagesse humaine » ou « sagesse mondaine » selon l’Evangile ; « sagesse profane » aussi : toutes expressions synonymes qui indiquent clairement que ce dont il s’agit n’est point la véritable sagesse, que c’en est l’ombre vaine, voire inversée. Les philosophies modernes ne sont mêmes que des constructions dépourvues de toute base solide, des assemblages d’hypothèses plus ou moins fantaisistes, de simples opinions individuelles, sans portée réelle.
En résumé, la philosophie n’est que du savoir profane et ne peut prétendre à rien de plus, tandis que le symbolisme fait partie de la science sacrée dont il est le seul moyen d’expression approprié.