Chapître 28 : Le symbolisme du théâtre (page 188 -191) :
Comparons la confusion d’un être avec sa manifestation extérieure à celle qu’on commettrait en voulant identifier un acteur à un personnage dont il joue le rôle.
D’une façon générale, le théâtre est un symbole de la manifestation dont il exprime le caractère illusoire, l’illusion n’étant pas l’irréel, mais une moindre réalité.
L’acteur est un symbole du Soi ou de la personnalité se manifestant par une série indéfinie d’états et de modalités qui peuvent être considérés comme autant de rôles différents.
Le masque antique parachevait ce symbolisme. Il s’appelait persona, la personnalité étant littéralement ce qui se cache sous le masque de l’individualité. Sous le masque, l’acteur demeure lui-même dans tous ses rôles, comme la personnalité n’est pas affectée par toutes ses manifestations. La suppression du masque oblige l’acteur à modifier sa physionomie et altère son identité essentielle.
Mais en tout cas l’auteur demeure autre chose que ce qu’il parait être, de même que la personnalité est autre chose que les multiples états manifestés qui ne sont que les apparences extérieures et changeantes dont elle se revêt pour réaliser les possibilités indéfinies qu’elle contient en elle-même dans la permanente actualité de la non manifestation.
Le théâtre est une image du monde, qui n’existe que comme conséquence et expression du Principe : C’est cette considération du monde, soit comme rapporté au Principe, soit seulement dans ce qu’il est en lui-même, qui différencie fondamentalement le point de vue des sciences traditionnelles et celui des sciences profanes.
Le théâtre ne se borne pas à représenter le monde humain, c’est-à-dire un seul état de manifestation ; il peut représenter en même temps les mondes supérieurs et les mondes inférieurs.
Dans les mystères du Moyen Age, la scène était divisée en plusieurs étages correspondant aux différents mondes, répartis généralement en ciel, terre et enfer.
L’action se jouait simultanément dans les différentes divisions, pour représenter la simultanéité essentielle des états de l’être. Les modernes, qui ne comprennent plus rien à ce symbolisme, regardent comme une naïveté ce qui avait précisément le sens le plus profond. Ce qui est surprenant, c’est la vitesse à laquelle cette incompréhension est arrivée, dès le XVIIème siècle, manifestant cette coupure entre le Moyen Age et les temps modernes qui est l’une des grandes énigmes de l’histoire.
Les mystères médiévaux devraient s’écrire mistères car ils dérivent du mot latin ministerium qui signifie office ou fonction, et rappelle ainsi le rôle du théâtre dans la célébration des fêtes religieuses.
Les assimilations phonétiques entre des mots philologiquement distincts ne sont absolument pas arbitraires mais nous rappellent que les secrets de la constitution intime du langage sont complètement perdus aujourd’hui, au point qu’on les confond avec de vulgaires jeux de mots.
A un autre point de vue, les personnages d’une pièce de théâtre peuvent être considérées comme des productions mentales de l’auteur, modifications secondaires ou prolongements de lui-même, à peu près de la même façon que les formes subtiles produites dans l’état de rêve. L’auteur a donc une fonction de démiurge puisqu’il produit un monde qu’il tire tout entier de lui-même.
Il est le symbole de l’Etre produisant la manifestation individuelle.
Dans ce cas, comme dans celui du rêve, l’unité essentielle du producteur des formes illusoires n’est pas affectée par cette multiplicité de modifications accidentelles, non plus que l’unité de l’Etre n’est affectée par la multiplicité de la manifestation.
Le caractère fondamental du théâtre est donc de constituer par sa nature même un des plus parfaits symboles de la manifestation universelle.