.Introduction : Le secret des organisations initiatiques est intrinsèque et inexprimable :
Des précisions sont nécessaires pour mieux distinguer le secret initiatique de tous les autres genres de secrets rencontrés dans les organisations dites secrètes.
Cette désignation signifie simplement que ces organisations ont un secret, quelle que soit sa nature, pouvant porter sur les choses les plus diverses et prendre les formes les plus variées.
Mais, quand il n’est pas initiatique, ce secret l’est toujours en vertu d’une convention plus ou moins expresse, et non par la nature même des choses. Le secret initiatique, lui, consiste exclusivement dans « l’inexprimable », et donc « l’incommunicable ». Son caractère secret n’a donc là rien d’artificiel ni rien d’arbitraire.
Grâce à cela, on peut ainsi distinguer :
- les organisations initiatiques de toutes les autres organisations secrètes.
- ce qui constitue l’essentiel des organisations initiatiques de ce qui peut s’y adjoindre accidentellement.
1. On ne peut trahir le secret initiatique :
Première conséquence : tout secret d’ordre extérieur peut toujours être trahi, au contraire du secret initiatique qui est inaccessible et insaisissable aux profanes et ne saurait être pénétré par eux car seule l’initiation peut y mener.
Ce secret est de nature telle que les mots ne peuvent l’exprimer.
L’enseignement initiatique ne peut donc faire usage que de rites et de symboles qui suggèrent plutôt qu’ils n’expriment.
Ce qui est transmis par l’initiation, n’est pas le secret lui-même puisqu’il est incommunicable, mais l’influence spirituelle qui a les rites pour véhicule et qui rend possible le travail intérieur. Chacun atteindra le secret plus ou moins complètement selon la mesure de ses propres possibilités de compréhension et de réalisation.
On ne peut donc reprocher leur secret aux organisations initiatiques puisque celui-ci n’est pas volontaire ni soumis à appréciation comme dans le point de vue profane. En fait, personne ne peut ni le communiquer à autrui ni le dévoiler, quand bien même il le voudrait.
Si ces organisations sont fermées, et n’admettent pas tout le monde « indistinctement », cela se réfère à la première condition de l’initiation qui est la possession de certaines qualifications particulières indispensables pour bénéficier du rattachement à une telle organisation.
De plus, si une organisation initiatique devient trop ouverte, elle risque de dégénérer par suite de l’incompréhension de ceux qu’elle admet inconsidérément et y introduisent toutes sortes de vues profanes et détournent son activité vers des buts non initiatiques. C’est malheureusement trop souvent le cas de ce qui subsiste d’organisations de ce genre dans le monde occidental.
2. Le secret initiatique n’est pas dans le caractère fermé des organisations :
Deuxième conséquence : On ne peut confondre le secret initiatique lui-même et le caractère fermé des organisations qui détiennent les moyens par lesquels il est possible à ceux qui sont « qualifiés » d’y avoir accès.
Invoquer des raisons de « prudence », c’est donc méconnaître l’essence et la portée du secret initiatique.
La « prudence » ne concerne que la lutte des organisations initiatiques contre le danger de dégénérescence et non contre les « indiscrétions » impossibles quant à la nature essentielle du secret. Cela tient à la nature des hommes en général.
La raison de la dégénérescence tient d’ailleurs moins au manque de prudence qu’à l’admission d’individualités pour lesquelles l’initiation ne serait jamais que lettre morte, une formalité vide et sans aucun effet réel parce qu’elles sont imperméables à l’influence spirituelle.
La « prudence » vis-à-vis du monde extérieure est accessoire, quoique légitime en présence d’un milieu hostile, l’incompréhension profane se limitant rarement à l’indifférence mais se changeant facilement en haine dont les manifestations présentent un danger réel.
De fait, plus l’organisation sera extériorisée et moins purement initiatique, plus des précautions seront nécessaires contre la nuisance du monde extérieur. Cela est particulièrement vrai quand l’organisation a pris la forme extérieure d’une « société » ou qu’elle s’est laissée entraîner dans une action s’exerçant en dehors du domaine initiatique. Une véritable organisation initiatique est « insaisissable » et le monde profane ignore son existence.
Ces simples mesures extérieures de « prudence » ne sauraient suffire contre le pouvoir de nuisance de la contre-initiation, laquelle peut très bien manipuler le monde profane contre l’organisation initiatique.
3. Les secrets accessoires et non essentiels :
Troisième conséquence : Outre ce secret qui lui seul est essentiel, une organisation initiatique peut en posséder d’autres, d’un autre plus ou moins extérieur ou contingent. Seuls apparents aux yeux de l’observateur du dehors, ces secrets accessoires entretiennent la confusion.
o Ces secrets peuvent provenir de la contamination de l’organisation par l’adjonction de buts n’ayant rien d’initiatique dans une graduation indéfinie de mélanges.
o Ces secrets accessoires peuvent aussi concerner des applications contingentes mais légitimes de la doctrine initiatique : ils concernent les sciences et arts traditionnels. Ceux-ci ne peuvent être véritablement compris en dehors de l’initiation où ils ont leur principe, leur « vulgarisation » ayant donc l’inconvénient d’amener inévitablement une déformation ou même une dénaturation dont l’exemple le plus frappant est celui de la naissance des sciences profanes.
o Toujours dans cette même catégorie des secrets accessoires, rangeons les secrets qui portent sur les rites et symboles en usage dans l’organisation ainsi que sur certains mots et signes employés comme moyens de reconnaissance pour permettre à ses membres de se distinguer des profanes. Ce secret, de nature conventionnelle et relative, peut toujours être découvert et trahi, surtout si l’organisation est moins rigoureusement « fermée ». Ce n’est pas là le secret essentiel et son absence ou sa présence ne peut même pas permettre de définir l’organisation comme véritablement initiatique ou non.
4. De l’intérêt de l’utilisation des moyens de reconnaissance :
Il faut comprendre que les organisations pseudo-initiatiques et même certains groupements fantaisistes imitent de cette façon les véritables organisations initiatiques dans leurs apparences extérieures (rites, symboles, mots de passe). Cela leur permet d’espérer se garantir contre les indiscrétions.
Rappelons que l’existence de ce type de secret n’a rien de nécessaire pour les véritables organisations initiatiques et son importance diminue au fur et à mesure de l’élévation et de la plus grande pureté de leur caractère, étant mieux dégagé des formes extérieures et de tout ce qui n’est pas essentiel.
Cela peut paraître paradoxal mais, si l’emploi des moyens de reconnaissance par une organisation est une conséquence de son caractère fermé, celles qui sont les plus « fermées » de toutes réduisent ces moyens jusqu’à leur disparition parce qu’elles n’en ont plus besoin. L’utilisation de moyens de reconnaissance est liée au degré d’extériorité de l’organisation qui y a recours.
Certaines organisations initiatiques parmi les plus répandues justifient l’utilisation des moyens de reconnaissance et donc de ce secret extérieur et secondaire par leur rôle pédagogique, la discipline du secret constituant une sorte d’entraînement faisant partie des méthodes propres à l’organisation. Ce serait une forme atténuée de la « discipline du silence » en usage chez les Anciens, particulièrement dans l’école pythagoricienne. C’est aussi la disciplina secreti ou disciplina arcani des premiers chrétiens. Ce point de vue est juste à condition de ne pas être exclusif.
Sous ce rapport, la valeur du secret ne dépend pas de la valeur des choses sur lesquelles il porte, celles-ci pouvant être insignifiantes. En tant que discipline, le secret aura la même valeur, qu’il porte sur de petites ou de grandes choses. C’est ce qui semble puéril aux profanes incapables de comprendre la valeur symbolique des mots ou des signes sur lesquels le secret est imposé.
Mais n’oublions jamais que les « moyens de reconnaissance » sont des symboles au même titre que les autres et leur signification doit être aussi méditée et approfondie car ils font partie intégrante de l’enseignement initiatique.
Cela est d’ailleurs vrai de toutes les formes employées par les organisations qui ont un caractère traditionnel, qu’elles soient initiatiques ou religieuses.
Elles sont autre chose que ce qu’elles paraissent en dehors et c’est ce qui les différencie essentiellement des formes profanes où l’apparence extérieure est tout et ne recouvre aucune réalité d’un autre ordre.
Le secret accessoire dont il s’agit est lui-même le symbole du véritable secret initiatique et donc bien plus qu’un simple moyen pédagogique.
Mais ici aussi l’ignorance profane confond le symbole avec ce qui est symbolisé parce qu’elle ne sait pas voir ce qui est derrière l’apparence et ne conçoit pas qu’il puisse y avoir autre chose que ce qui tombe sous les sens, ce qui équivaut à la négation de tout symbolisme.
Notons que les « mots sacrés » symbolisent particulièrement l’ineffable et l’inexprimable. Cela est aussi vrai du Tétragramme de la Tradition judaïque. De même, certains signes sont en rapport avec la « localisation » dans l’être humain de centres subtils dont l’éveil constitue un des moyens d’acquisition de la connaissance initiatique effective (cf tantrisme hindou).
Dernière considération : le secret d’ordre extérieur dans les organisations initiatiques où il existe fait partie du rituel puisque ce qui en est l’objet est communiqué, sous l’obligation correspondante du silence, au cours de l’initiation.
Ce secret est donc à la foi un symbole et un rite avec toute la vertu propre au rite. De fait, rite et symbole sont étroitement liés par leur nature même.